Leenaly [Terminée]

2 novembre 1989
J’ai peur… je l’entend dans le couloir, j’entend ses pas et j’ai peur… peur à chaque fois qu’il passe près de ma porte, qu’il marque un temps d’arrêt ou non. J’ai peur… car il va venir comme à chaque fois et je vais souffrir comme à chaque fois. Je veux ma maman ! Je veux qu’elle vienne, même si on me dit que jamais plus je ne pourrais la revoir, qu’il y a des choses impossibles dans ce monde, je m’en fiche, je veux ma maman ! Ma tante est gentille, mais elle ne replacera jamais maman, et mon oncle… il me fait faire des choses pas bien, interdites… Je suis peut être encore petite mais je sais que c’est mal, pas normal. Je peux le voir aussi dans les yeux de ma tante, j’ai l’impression qu’elle me déteste lorsque ça arrive… mon oncle dit de ne pas m’en faire, qu’elle est simplement jalouse de notre lien tout particulier. Mais je ne veux pas qu’elle m’en veuille ! Malgré tout, je ne veux pas non plus rendre triste mon oncle, mais il le sera si il ne vient plus dans ma chambre le soir, il me l’a dit… Il m’aime et il veut me le prouver comme le font les adultes, car d’après lui je suis une grande fille à présent. Mais je l’aime aussi… il est gentille avec moi. Il laisse ma veilleuse allumer la nuit parce qu’il sait que j’ai peur dans le noir, alors que ma tante veut me la confisquer à chaque fois… elle dit que c’est stupide d’avoir encore une veilleuse à huit ans. Il ne me gronde jamais, même quand je rentre de dehors avec les habits sales voir troués… il me laisse manger de la glace avant le repas, me laisse coucher tard parfois, mais tout ça, c’est secret, notre secret à nous. Ma tante serait en colère si elle le savait ! Tonton dit qu’elle ne m’aime pas suffisamment pour me faire plaisir, alors que lui si !

J’ai de quoi être heureuse ici, et pourtant j’ai peur quand vient la nuit… pas à cause du noir, j’ai ma veilleuse pour ça. Ce qui me fait peur, c’est quand tonton vient dans ma chambre alors que je suis couchée… j’ai horreur de ça, je n’aime pas quand il se glisse dans mon lit à côté de moi, quand il pose ses grandes mains moites sous mon pyjama, qu’il me l’enlève et qu’il m’étreint. Je trouve ça répugnant et ça fait toujours terriblement mal, alors je me concentre sur la chaîne qui pend à son cou, je la fixe encore et toujours, et j’essaie de devenir sourde et insensible au reste. Je déteste cet homme qui me fait souffrir, mais juste après il redevient mon tonton que j’aime, me berçant, me consolant, séchant mes larmes…

La lumière dans le couloir s’est éteinte… ça fait bien cinq minutes et ma porte est restée close… Je crois, non je suis sûre qu’il ne viendra pas cette nuit. Je n’ai plus peur à présent, j’ai l’impression que l’on vient de me retirer un gros poids de l’estomac et ça fait du bien. Je vais pouvoir dormir maintenant… Il est déjà très tard et demain, on part en excursion avec ma classe. Je te raconterais tout bientôt !

Refermant le carnet, Leenaly jeta le cahier à la couverture ornait de petits cœurs dans la poubelle à ses côtés. Elle ne se souvenait pas de cette fameuse journée avec son école, mais ce qu’elle venait de lire, elle n’avait pu l’effacer de sa mémoire car elle l’avait vécu encore et encore, et que ça ne fait pas parti de ces choses que l’on oubli avec le temps, ni même qui guérissent… On peut simplement les refouler au plus profond de soi, faire comme si cela n’avait jamais existé… mais l’inconscient est souvent cruel avec ce genre de chose, et dès que l’on relâche un peu son attention, que l’on laisse son esprit et ses souvenirs dériver, on finit irrémédiablement par revivre ces scènes, encore et encore et ce toujours lorsque l’on est seul, qu’il est tard et que rien, absolument ne peut nous détourner de ces faits qu’on voudrait simplement voir disparaître à jamais.

Cette lecture lui rappela combien elle détestait l’enfant qu’elle avait été. Incrédule, naïve… jamais elle n’avait parlé de ce qui se passait dans cette chambre, à personne. Peut être était-ce à cause de sa tante… elle qui savait, elle ne la considérait pas en victime, non… le regard qu’elle posait sur elle était dur et froid. « Tu me le vole ! » C’était ce qu’elle pouvait lire dans son regard. Sa tante, celle qui avait juré de s’occuper de sa nièce comme de sa propre fille après le décès de sa sœur… cette femme en venait à haïr la petite fille qu’elle était et sa rancœur ne faisait que grandir à chaque fois que son mari désertait le lit conjugal au profit de celui de l’enfant. Voilà sûrement pourquoi elle n’a jamais parlé, parce que la seule personne au courant la regardait comme la coupable… et même sans cela, elle n’aurait pu faire autrement que de garder le silence.

Elle avait quatorze ans lorsqu’elle eu assez de courage pour quitter la maison, ne supportant plus les attouchements de ce porc qui l’avait pourtant élevé et de l’impassibilité de sa tante. Elle était partie avec toutes ses économies –autrement dit : rien- et était allée se réfugier dans une petite ville voisine, Sunshine. Bizarrement, elle ne pense pas qu’ils aient alerté la police de sa fugue… Peut être avaient-il eu peur qu’elle ne finisse par parler si on la retrouvait. Mais ils lui prêtaient là un courage qu’elle ne possédait en aucun cas.

Elle soupira en rangeant le dernier carton. Le reste n’avait été qu’une suite de coup de chance et d’opportunité… Elle n’avait pas passé deux jours dans la rue qu’on l’en sortit. Un vampire, le premier qu’elle connut… Il la fit travailler dans son bar, en échange d’une chambre et d’un salaire, tout cela au noir bien évidemment. Pourquoi prendre une humaine ? Parce que lorsqu’ils s’amusaient un peu trop, les employés vampires ne résistaient jamais à se mêler à leurs congénères et oubliaient de travailler. Et pourquoi donc une gamine trouvée dans la rue ? Parce que cela signifiait qu’elle n’avait pas d’attache, et que si cela devait mal tourner, qu’elle devait ‘accidentellement’ perdre la vie, personne ne le saurait… Cependant, le patron était formel : on ne touchait pas à ses employés sous peine d’un bannissement de son bar. Etant le seul de la ville, cela était problématique, alors les clients se tenaient correctement, même si certains avaient tenté de mordre dans sa gorge, elle avait toujours eu du secours à cet instant.

Puis, elle voulut faire autre chose, bien qu’aimant ces créatures fascinantes, et n’ayant nullement peur ou mal au cœur lorsqu’il leur arrivait de dépecer une victime devant elle, elle aspirait à autre chose… Elle voulait surtout profiter de ses nuits autrement qu’en travaillant. Un des habitués du bar ayant eu vent de ce désir lui proposa une place dans son entreprise, rien de bien reluisant, un poste de secrétaire s’était libéré dans son entreprise qui était actuellement en pleine expansion et si elle savait se montrer convaincante, la place serait pour elle. Bien entendu elle ne laissa pas l’occasion lui passer sous le nez, et après avoir couché avec le vampire –un de ses fantasmes, merveilleux souvenir- et l’avoir laissé joué avec elle toute la nuit jusqu’à ce qu’il soit satisfait, il avait tenu parole et elle avait obtenu ce qu’elle voulait.

Elle regarda les carton entreposaient dans la pièce avec la vague impression de ne pas s’en sortir. Avec l’argent qu’elle se faisait à présent –bien plus qu’en tant que serveuse- elle avait pu se prendre un appartement un peu plus grand et elle en était très fière ! Elle se félicitait de s’être ainsi débrouillée alors qu’elle avait quitté maison et école à quatorze ans !